Philippe Agnelli (Interviewer) : Bonjour Vincent Vicard, merci de me recevoir ici au Centre de Politique Internationale (CPI) dans votre bureau. Aujourd’hui, nous allons parler de la réindustrialisation de la France, et plus particulièrement de votre livre Faut-il réindustrialiser la France ? que j’ai lu avec beaucoup d’attention. Je trouve cet ouvrage très intéressant, riche en informations. J’ai plusieurs questions à vous poser à ce sujet, mais avant cela, pourriez-vous vous présenter et nous parler brièvement du CPI, l’institution dans laquelle vous travaillez ?
Vincent Vicard (Expert) : Bonjour, merci à vous. Je suis économiste au CPI, un centre de recherche spécialisé dans le commerce international et les échanges économiques globaux. L’objectif du CPI est d’éclairer le débat public en servant de passerelle entre la recherche académique et le grand public, ainsi que les administrations. Nous visons à apporter des éléments objectifs et documentés au débat économique.
Philippe Agnelli : Dans votre ouvrage, vous analysez les impacts de la désindustrialisation sur l’économie française, le tissu social et l’aménagement du territoire. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène et en quoi la France se distingue des autres pays riches ?
Vincent Vicard : La désindustrialisation est un phénomène que l’on observe dans tous les pays développés. Elle est principalement due à deux facteurs : d’une part, les gains de productivité dans l’industrie qui permettent de produire plus avec moins de main-d’œuvre, et d’autre part, l’évolution des modes de consommation qui favorise davantage les services au détriment des biens manufacturés. Ce n’est donc pas tant que nous produisons moins, mais que la part relative de l’industrie diminue au profit des services.
Cependant, la France présente une caractéristique particulière : sa désindustrialisation s’est accélérée au début des années 2000, notamment en raison d’une forte dégradation du solde commercial. Aujourd’hui, la part de l’industrie manufacturière dans l’emploi en France est d’environ 10-11 %, ce qui nous rapproche davantage du Royaume-Uni ou des États-Unis que de l’Allemagne ou de l’Italie. Cela a des conséquences majeures, notamment sur l’emploi dans certaines régions et sur la dynamique des territoires.
Philippe Agnelli : Vous mentionnez que la France produit toujours autant qu’avant, mais cela semble contradictoire avec l’augmentation des importations, notamment en provenance de Chine. Comment expliquer cette apparente contradiction, notamment en ce qui concerne le déficit commercial français ?
Vincent Vicard : Effectivement, la perception générale est que nous avons perdu une grande partie de notre industrie au profit de la Chine et d’autres pays à bas coûts. En réalité, la part de la Chine dans les importations françaises est d’environ 10 %, tandis que la majeure partie de notre commerce se fait avec nos partenaires européens. Le secteur automobile illustre bien ce phénomène : les constructeurs français ont délocalisé une grande partie de leur production en Europe de l’Est et dans le bassin méditerranéen, ce qui signifie que nous réimportons des véhicules autrefois fabriqués en France.
Quant au déficit commercial, il est le reflet de notre spécialisation économique : la France est excédentaire dans les services (tourisme, ingénierie, finance) mais déficitaire dans les échanges de biens manufacturés. L’Italie, par exemple, a su maintenir un tissu industriel dense et un excédent commercial grâce à ses nombreuses PME et ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire), ce qui constitue un modèle intéressant.
Philippe Agnelli : La France a donc une forte présence de grandes multinationales qui délocalisent et, ce faisant, fragilisent le tissu des PME sous-traitantes. Est-il possible de recréer un modèle plus intégré comme en Allemagne ou en Italie ?
Vincent Vicard : C’est un enjeu majeur. La France s’est historiquement concentrée sur le développement de grands champions nationaux, ce qui a entraîné une structure économique différente de celle de l’Allemagne ou de l’Italie, où les PME jouent un rôle central. Pour favoriser un tissu plus dense d’entreprises industrielles en France, il est essentiel que les grandes entreprises s’ancrent davantage dans des écosystèmes locaux en favorisant leurs sous-traitants français.
Philippe Agnelli : En guise de conclusion, pensez-vous que la France puisse inverser la tendance et retrouver une industrie plus forte ? Quels seraient les principaux leviers ?
Vincent Vicard : Oui, mais cela nécessitera des efforts soutenus et des choix stratégiques clairs. Les principaux leviers sont la formation, l’investissement dans des secteurs à forte valeur ajoutée, une politique industrielle ciblée et la sécurisation de nos approvisionnements. Il faut aussi veiller à créer un cadre stable et prévisible pour les industriels, afin d’encourager les investissements à long terme. L’exemple des États-Unis avec l’Inflation Reduction Act montre qu’une politique industrielle ambitieuse et ciblée peut donner des résultats significatifs.
Philippe Agnelli : Merci beaucoup pour ces éclairages, Vincent Vicard. Votre analyse est précieuse pour mieux comprendre les enjeux de la réindustrialisation en France.
Vincent Vicard : Merci à vous !