Par Philippe Agnelli, Président du Think Tank Elysée Conseils et animateur du podcast « Enjeux et Convictions »
« Souveraineté » : le mot est sur toutes les lèvres.
Nous la voulons alimentaire, énergétique, industrielle, militaire… mais dès qu’il s’agit du numérique, les actes trahissent les discours. L’annonce récente de la migration de l’École polytechnique vers Microsoft 365 en est l’illustration flagrante. Ce choix engage non seulement une institution prestigieuse, mais aussi un symbole de notre souveraineté stratégique, intellectuelle et militaire.
L’École polytechnique, sous tutelle du ministère des Armées, forme les ingénieurs appelés à concevoir la défense de demain, les chercheurs qui travailleront sur les technologies critiques du futur. En confiant son infrastructure numérique à un acteur américain, elle s’expose — et nous expose — à une dépendance lourde de conséquences. Le Cloud Act américain, applicable à toutes les entreprises soumises au droit des États-Unis, permet aux autorités d’outre-Atlantique d’accéder, sur demande, à des données hébergées même en Europe. Faut-il rappeler que Microsoft 365 est régulièrement pointé du doigt pour sa non-conformité au RGPD par les autorités européennes elles-mêmes ?
Cette décision est d’autant plus incompréhensible qu’il existe des solutions européennes et open source, robustes, éprouvées, capables de répondre aux besoins des plus hautes exigences. L’entreprise suisse Proton l’a rappelé récemment en se disant prête à accompagner Polytechnique vers une autonomie numérique. Des plateformes comme OnlyOffice, Nextcloud ou Collabora offrent des alternatives crédibles, tout comme la suite numérique que l’État français commence enfin à développer. Elle est certes encore imparfaite — mais n’est-ce pas justement le rôle de nos grandes écoles de contribuer à l’amélioration d’outils publics par l’expérimentation et l’innovation ?
Souveraineté numérique et excellence académique ne sont pas incompatibles. Elles doivent être indissociables.
Ce choix de Polytechnique, que certains qualifient de « pragmatique », s’apparente en réalité à une démission stratégique. Il traduit un court-termisme technocratique qui ignore les enjeux de puissance, de sécurité et d’indépendance. Il est encore temps de revoir cette décision. Il est temps que nos élites intellectuelles, scientifiques et militaires soient formées dans des environnements numériques qui ne dépendent pas de puissances étrangères.
La souveraineté n’est pas un concept creux. Elle est un choix. Un combat. Un acte politique.
Et elle commence là où l’on décide, chaque jour, d’utiliser ou non les outils que l’on maîtrise.