Par Philippe Agnelli
La lutte contre l’habitat indigne est une exigence de justice sociale, de santé publique et de dignité nationale. À cet égard, le permis de louer, instauré par la loi ALUR, constitue un levier intéressant pour donner aux collectivités les moyens de contrôler la décence des logements avant leur mise en location. Pourtant, à l’épreuve du terrain, ce dispositif accumule les lourdeurs administratives et les coûts inutiles. Son efficacité dépend donc de notre capacité collective à le réformer, sans en trahir l’esprit.
Un outil utile : assainir le parc locatif et responsabiliser les bailleurs
L’autorisation préalable de mise en location (Cerfa 15651) permet à certaines communes d’intervenir avant la signature d’un bail pour refuser un logement non conforme aux normes minimales de décence ou de sécurité. Cela a déjà produit des résultats notables :
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À Mantes-la-Jolie, environ 480 logements sont rénovés chaque année sous l’impulsion du permis de louer.
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À Rouen, près de 10 % des demandes sont refusées, ce qui révèle l’utilité du filtre.
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Dans plusieurs villes comme Lille ou Toulouse, ce permis a permis de freiner l’action des marchands de sommeil et de mieux orienter les aides à la rénovation.
Loin d’être un gadget bureaucratique, le permis de louer est un outil de responsabilisation et de régulation, à condition d’être bien conçu.
Une application kafkaïenne : décourageante pour les bailleurs, inefficace pour l’État
Malheureusement, l’application actuelle du dispositif est un cas d’école de lourdeur administrative :
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Procédures fastidieuses, doublons de documents (diagnostics DPE, sécurité, plomb, etc.), et parfois plusieurs semaines de délai avant autorisation.
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Frais indirects élevés : pertes de loyers, travaux non planifiés, ingénierie juridique pour comprendre les obligations.
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Inégalités territoriales flagrantes : certaines collectivités sont bien dotées en agents de contrôle, d’autres n’ont qu’un service administratif débordé.
Conséquence ? Des bailleurs honnêtes sont dissuadés de louer ou reportent leur investissement sur d’autres territoires, tandis que certains loueurs sans scrupules passent « sous les radars », parfois au détriment des locataires les plus vulnérables.
Nos propositions : pour un permis de louer rationalisé, numérisé, ciblé
Je suis favorable au maintien de ce permis, mais à condition de réorienter profondément son fonctionnement, selon les principes suivants :
1. Passer d’une autorisation systématique à un contrôle ciblé
Il faut réserver le dépôt obligatoire de demande d’autorisation aux cas problématiques signalés par :
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les locataires eux-mêmes (via une application ou un portail Visale+),
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les syndics de copropriété (en cas de non-conformité manifeste),
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ou les signalements administratifs (CAF, services sociaux, mairies).
Cela permettra de concentrer les ressources sur les logements vraiment à risque, plutôt que de contrôler indistinctement tous les bailleurs.
2. Instaurer une validité longue : 5 ans minimum
Un logement ayant reçu une autorisation ne devrait pas être soumis à une nouvelle procédure chaque changement de locataire. Je propose que le permis de louer soit valable pour 5 ans, sauf changement substantiel dans le bien ou signalement officiel.
3. Intégrer le dispositif dans les outils numériques existants
Le Cerfa 15651 doit être intégré au portail de gestion locative du fisc (espace propriétaire) et synchronisé avec Visale+, que je défends comme socle d’un contrat locatif modernisé, transparent et sécurisé. Ce couplage permettrait :
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un remplissage automatique des données déclarées au fisc,
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un lien direct avec les diagnostics et assurances de loyer,
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une alerte automatique pour les biens suspects ou non conformes.
4. Numériser l’instruction et raccourcir les délais
Un portail unique intercommunal, avec réponse sous 15 jours ouvrés maximum, permettrait de garantir sécurité juridique et rapidité, sans coûts cachés. Passé ce délai, l’accord serait tacitement acquis.
5. Accompagner plutôt que sanctionner
Enfin, il convient de créer des mécanismes d’accompagnement technique et financier pour les petits bailleurs : ingénierie gratuite, avances remboursables pour les travaux, soutien dans la constitution du dossier.
Une politique du logement exigeante mais juste
Le permis de louer ne doit pas devenir un piège administratif pour les bailleurs de bonne foi. Il doit redevenir ce qu’il aurait toujours dû être : un outil au service des locataires, au service des territoires, au service de la décence du logement.
La France mérite mieux qu’un empilement de normes inefficaces. Elle mérite des dispositifs intelligents, équitables et connectés à la réalité. C’est dans cet esprit que je défends une refonte du permis de louer, au service de notre souveraineté sociale et de la qualité de notre parc immobilier.